Le caractère collectif de la procédure, prescrit dans le but d’assurer une
certaine égalité entre les créanciers de l’entreprise en difficulté, explique en partie
l’un des effets de cette procédure sur les créanciers de cette entreprise, à savoir soit
la suspension des poursuites et des voies d’exécution individuelles quand elles sont en
cours, soit leur interdiction dès lors qu’elles ne sont pas encore exercées. Sont ainsi
concernés :
D’une part les créanciers concernés par la procédure de règlement amiable
administrée dans le cadre de la prévention externe (art. 555) et ;
D’autre part les créanciers dont la créance est antérieure à la date de
publication du jugement d’ouverture de la procédure de redressement de l’entreprise
en difficulté (art. 653).
Cependant, une différence existe entre le premier et le deuxième cas. En effet,
l’arrêt des poursuites dans le premier cas n’est pas systématique. Il est initié par le
conciliateur qui, en vertu de l’article précité peut saisir dans cet objectif le président
du tribunal. Ce dernier, en concertation avec les principaux créanciers, peut rendre
une ordonnance arrêtant les poursuites de la part des créanciers pendant une durée
ne dépassant pas la durée de la mission confiée au conciliateur. En revanche, dans le
deuxième cas, le jugement d’ouverture de la procédure emporte systématiquement la
suspension ou l’interdiction des actions en justice et les voies d’exécution.
1 : L’arrêt des poursuites individuelles
Le domaine d’application de l’arrêt des actions en justice subit une double
limitation. Ainsi, ces actions doivent :
• soit tendre au paiement d’une somme d’argent. Il y a cependant lieu de
préciser à ce niveau que la jurisprudence française a même affirmé la nullité d’une
action en justice pour inexécution par le débiteur d’une obligation de faire se
résolvant en dommages-intérêts. On a ainsi considéré que la demande en exécution
tendait en réalité au paiement d’une somme d’argent pour une cause antérieure au
jugement d’ouverture ;
• soit chercher à résoudre un contrat pour défaut de paiement d’une somme
d’argent.
Par ailleurs, si la loi permet au conciliateur, à l’occasion de la procédure de
règlement amiable, la possibilité de solliciter du président du tribunal la suspension
des poursuites à l’encontre des créanciers. Cette faculté traduit une incohérence. En
effet, une telle possibilité laisse entendre une reconnaissance implicite de
l’impossibilité pour l’entreprise de faire face à ses dettes à l’aide de son actif. Ceci
étant, on en déduit que l’entreprise, n’étant pas en mesure de faire face à son passif,
se trouve déjà en situation de cessation de paiement, du moins selon la conception
donnée par l’actuel texte de loi à la notion de cessation de paiement. Par conséquent,
cette entreprise ne peut naturellement plus faire l’objet d’une procédure de
règlement amiable. La suspension provisoire que prévoit la phase du règlement
amiable n’est donc pas adaptée, car elle revient à reconnaitre une cessation de
paiement de fait, alors qu’à la base, les sacrifices que les créanciers ont accepté
d’accorder, dans le cadre de l’accord amiable, ont été fondés notamment sur la
situation d’une entreprise qui n’est pas encore au stade d’une cessation de paiement.
En outre, si la durée prescrite à l’arrêt des poursuites pendant le règlement
amiable ne peut dépasser le terme de la mission du conciliateur, quelle serait la durée
de suspension ou d’interdiction des poursuites à l’occasion de la publication du jugement d’ouverture ? Le texte (art. 654 du code de commerce) précise que les
instances en cours se prolongent jusqu’à ce que le créancier poursuivant ait déclaré sa
créance. Ce qui signifie une possibilité de reprise de cette action de poursuite après
avoir déclaré sa créance. Cependant, cette reprise ne remet pas en cause le principe
de l’interdiction des poursuites individuelles. Le même article prend en effet soin de
préciser que ces instances ne peuvent tendre qu’à « la constatation des créances et la
fixation de leur montant ». Ceci signifie qu’elles permettent seulement de compléter
l’état des créances et non d’obtenir un titre exécutoire.
Ceci étant, si le cas se présente ainsi lors du redressement de l’entreprise en
difficulté, qu’en est-il au stade de la liquidation judiciaire? A ce niveau, le législateur
de 1996 a expressément permis aux créanciers titulaires d’un privilège spécial, d’un
nantissement, ou d’une hypothèque ainsi qu’au trésor public la reprise des poursuites
individuelles mais dans le seul cas où le syndic n’a pas procédé à la liquidation des
biens grevés dans un délai de trois mois à compter du jugement d’ouverture de la
procédure de liquidation. Ces poursuites sont alors ouvertes dès lors que le créancier
ait déclaré sa créance, même si cette dernière n’était pas encore admise. A côté de
cette restriction, le jugement d’ouverture de la procédure arrête et interdit toute voie
d’exécution tant sur les meubles que sur les immeubles.
Par ailleurs, l’on se demande également si la caution de l’entreprise débitrice
pourra bénéficier de l’arrêt des poursuites. Une question qui n’a pas été
expressément réglée par le code de commerce. Cependant la jurisprudence
marocaine avait décidé de faire bénéficier la caution de cette règle en s’appuyant
notamment sur l’article 1140 du D.O.C. En témoigne ainsi l’arrêt n° 170 de la cour de
cassation qui a rejeté une assignation au paiement, de la part de la société Maroc
leasing, à l’encontre de la caution solidaire de l’entreprise KOJIPA, faisant l’objet
d’une liquidation judiciaire. Outre l’arrêt des poursuites individuelles, l’interdiction
des voies d’exécution constitue une autre restriction aux droits des créanciers.
2 : Une acception large d’interdiction des voies d’exécution individuelles
Le jugement d'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire arrête ou
suspend toute voie d'exécution sur les meubles et immeubles, qu'il s'agisse de saisie
conservatoire ou exécutoire. Ces voies d’exécution doivent être comprises dans une
acception large pour englober également des mesures de prise de possession. Chose
qui a été confirmée par la jurisprudence marocaine. Ainsi, un arrêt de la cour de
cassation a considéré que la possession, en vertu de l'article 59 du Décret Royal du
17/12/68, accordée au crédit immobilier et hôtelier sur des immeubles abritant les
complexes hôteliers H.C. Palace et C.S. Akram, ne constitue qu'une voie d'exécution
parmi d'autres. L’ouverture de la procédure collective, qu'il s'agisse de
redressement ou de liquidation judiciaire, entraînant de plein droit l'interdiction au
créancier d'actionner ou de persister dans une instance en cours pour saisie
conservatoire ou exécutoire, a motivé la cassation de l’arrêt de la cour d’appel de
Marrakech. Ce dernier avait abrogé l’ordonnance en référé du président du tribunal,
qui a avait mis fin à la mainmise du CIH sur les immeubles susmentionnés.
L’annulation par la cour de cassation de la mainmise de la banque est survenue
quand bien même la date d’effet de l’ordonnance autorisant la possession est
antérieure à celle du jugement d’ouverture de la procédure de redressement. La cour
a motivé sa décision comme suit : « Alors que si cette possession a été décidée en
vertu du Décret de 1968 dans l'optique de permettre au CIH de récupérer sa créance
sur les revenus de l'immeuble, la reconnaissance de l'arrêt que le défendeur en
pourvoi n'est plus en droit de récupérer cette créance après le jugement de redressement judiciaire est en contradiction avec la persistance de cette possession.
Ce qui implique que l’arrêt de la cour d’appel s'expose à cassation » .
En outre, l’arrêt des voies d’exécution concerne même les mesures d’exécution
sur les fonds du débiteur, détenus par un tiers. Il en est ainsi le cas de l’avis à tiers
détenteur (ATD) émis par les administrations fiscales (Direction Générale des Impôts
et Administration des Douanes et Impôts indirects notamment). Cette dernière ne
peut en effet émettre un ATD après la publication du jugement d’ouverture de la
procédure. Le Trésor, en tant que créancier privilégié perd ainsi ce privilège
d’exécution sur les fonds du tiers détenteur une fois la publication du jugement a eu
lieu. Il paraît que le législateur français est même plus sévère à ce niveau. Les
dispositions insérées par la loi du 26 juillet 2005 au niveau de l’article 632-2, alinéa 2
du code de commerce, prévoient la nullité des ATD intervenus après une cessation de
paiement. Ce qui en compromet largement la réalisation chaque fois qu’une période
suspecte un peu longue est décidée par le Tribunal.
Cependant, contrairement au législateur marocain, qui n’a posé aucune
exception à la règle d’interdiction des voies d’exécution, le législateur français, a
prévu, au profit du trésor public, dans l’article 57 de la loi du 25 janvier 1985 une
exception à cette règle. En effet, le Trésor public, tout comme le vendeur d’un fonds
de commerce, conserve son privilège pour les créances qu'il a omis d’inscrire à la date
de la publication du jugement. En revanche, en vertu de la législation marocaine, le
Trésor public est mis sur un pied d’égalité avec les autres créanciers et ne jouit
d’aucune exception à ce niveau.
Par ailleurs, étant donné que l’accumulation des dettes de l’entreprise en
difficulté résulte particulièrement de l’accroissement du montant des intérêts et
réduit par conséquent les chances de sauvetage de cette entreprise, le législateur a
préféré sacrifier le droit des créanciers au bénéfice des intérêts légaux et
conventionnels.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire