Les règles régissant le droit des procédures collectives sont essentiellement
marquées par la présence d’intérêts contradictoires, à savoir ceux de l’entreprise en
difficulté d’un côté et ceux des créanciers d’un autre.
La simple lecture des dispositions du livre V du code de commerce révèle sans peine la primauté donnée à l’intérêt de l’entreprise au détriment de celui du créancier. C’est pour ainsi dire que le législateur marocain est principalement animé par le sauvetage de
l’entreprise considérée d’ailleurs comme le noyau de la production et de la stabilité de
l’économie mais aussi comme le gage de maintien de l’emploi. L’attitude de la loi à
l’égard des créanciers de cette entreprise démontre aisément cet état de fait en ce
qu’elle exige de leur part des sacrifices considérables.
Ainsi, le jugement ouvrant la procédure de redressement entraîne plusieurs
effets sur les droits des créanciers, et plus particulièrement ceux dont la créance est
née antérieurement à ce jugement. Il s’agit d’effets qui constituent une remise en
cause des règles du droit commun à savoir : l’interdiction de paiement de toute dette
antérieure et la dénaturation de la conception des sûretés
Interdiction de paiement des créances antérieures et déformation du jeu des sûretés
Le législateur, dans sa lancée vers la sauvegarde et la pérennité de l’entreprise
débitrice, interdit, dès la publication du jugement d’ouverture de la procédure de
traitement de l’entreprise, le paiement des créances antérieures à cette date de
publication (créances antérieures). Il a néanmoins privilégié, en vertu de l’article 575
du code de commerce les créanciers dont la créance est née régulièrement après le
jugement d’ouverture de la procédure (créanciers postérieurs), en leur accordant un
droit exceptionnel de priorité de paiement sur l’ensemble des créanciers antérieurs,
que leurs créances soient ou non assorties de privilèges ou de sûretés. Il s’agit là d’un
privilège accordé en récompense aux créanciers qui auront bien voulu soutenir
l’entreprise quand bien même cette dernière a été déclarée en difficultés et par là
même dans le but d’encourager l’effort contribuant au redressement de cette
entreprise. Aussi, même lorsque la protection de ces créanciers postérieurs paraît de
mise, l’évaluation de sa portée révèle son caractère relatif . En outre, les
sûretés, conférant aux créanciers un droit réel sur un ou plusieurs biens, se trouvent
parfois mises en échec au profit de l’entreprise en difficulté. Le droit des
procédures collectives modifie en effet considérablement le jeu normal des sûretés
réelles dont la mise en œuvre dans le cadre des procédures de traitement de
l’entreprise en difficultés revêt un caractère différent et constitue ainsi une exception
au régime du droit commun.
1 : Atténuation au sacrifice des créances antérieures
S’il est certain que tout redressement judiciaire passe par un effort collectif de
l’ensemble des partenaires de l’entreprise en difficulté, l’attitude du législateur à
l’égard des créanciers de l’entreprise en difficulté n’est pas toujours la même. Il
s’avère en effet que les créanciers antérieurs à la date du jugement d’ouverture de la
procédure sont appelés, par la loi, à supporter les conséquences du déficit dont
souffre l’entreprise traitée, au moment où la position des créanciers postérieurs est
consolidée par la création d’un nouveau privilège, propre à cette procédure, à savoir
le paiement en priorité (art. 575). Remarquons cependant que le législateur se réfère
au seul critère chronologique pour accorder aux créanciers le privilège de paiement
prévu à l’article 575. La généralité des termes de cet article ne permet d’exclure
aucune créance quelle qu’en soit la nature. Admettre ainsi sans limite le critère
chronologique pour créer ce privilège revient même parfois à accorder un paiement
prioritaire à des créances grevant le passif du débiteur sans contrepartie d’un
nouveau financement, ce qui risque de se contredire avec l’esprit même du texte, qui vise en effet, à travers cette mesure, de faire bénéficier une entreprise supportant un
passif non négligeable, de nouvelles sources de financement. Chose qui ne semble pas
avoir laissé le législateur français indifférent. Ce dernier, tout en conservant
l’architecture du texte antérieur (loi du 25 janvier 1985), a effectué, à travers la
réforme du code de commerce de 2005, un tri dans les créances postérieures au
jugement d’ouverture de la procédure. Son article L 622-17 impose en effet deux
conditions pour le paiement en priorité : outre la naissance de la créance
postérieurement au jugement d’ouverture de la procédure, il faut que cette créance
ait une certaine utilité pour la procédure et il faut qu’elle soit née de manière
régulière.
Le privilège de l’article 575 est donc accordé au détriment des créanciers
antérieurs à la date du jugement d’ouverture de la procédure. Ainsi, ils se retrouvent
non seulement privés de tout paiement de leurs créances, mais peuvent également se
trouver contraint à restituer toute somme d’argent qui leur aurait été versée, au titre
de leurs créances, par l’entreprise au cours de la période suspecte de 18 mois. Une
période qualifiée ainsi en raison de la suspicion des actes et des paiements effectués
par le Chef d’entreprise. C’est ainsi que la Cour de cassation avait condamné, dans
son arrêt n° 137 du 31.01.2013 le crédit agricole à la restitution des sommes
recouvrées auprès de la société COFIM, à l’encontre de laquelle était ouverte une
procédure de liquidation judiciaire. La cour a considéré que ce paiement, intervenu
durant la période suspecte, serait annulé en vertu des articles 681 et 685 du code de
commerce.
Par ailleurs, l’on se demande si le sacrifice consenti par les créanciers
antérieurs leur est imposé dans les différentes phases des procédures collectives. Il
n’en est pas le cas. En effet, le droit des procédures collectives a considérablement
amélioré le sort des propriétaires revendiquant, aussi bien dans le cadre des
procédures de traitement de l’entreprise en difficulté qu’à l’occasion d’une liquidationjudiciaire. Ainsi, le revendiquant qui est également créancier antérieur, notamment
les vendeurs avec clause de réserve de propriété ou les crédit-bailleurs, se trouve
dans une situation privilégiée. Quelle que soit la décision du syndic, il peut obtenir
restitution du bien, le paiement immédiat du prix, ou le droit de revendiquer le prix de
vente.
Le législateur a même admis la revendication en nature des choses fongibles
(art. 673). Une situation qui privilégie ainsi ce créancier en lui permettant d’échapper
à la règle du concours, et ce quand bien même sa créance est antérieure au jugement
d’ouverture de la procédure. Parallèlement, la priorité prévue à l’article 575 au profit
des créanciers postérieurs se heurte à l’exercice des droits de ces créanciers
antérieurs, étant donné que l’assiette constituant la base du paiement des créances
postérieures, se trouve considérablement réduite par ce droit de revendication.
De même, Les dirigeants responsables d’une insuffisance d’actif sont
condamnés en vertu de l’article 704 du code de commerce au remboursement des
sommes dues. Cependant, la généralité de l’alinéa 3 de cet article 704 laisse entendre
que lesdites sommes sont réparties, dans le cas d’une cession ou d’une liquidation
judiciaire de l’entreprise, sur un pied d’égalité, entre l’ensemble des créanciers, qu’ils
soient postérieurs ou antérieurs, munis ou non de privilèges. Une disposition qui
privilégie ainsi les créanciers antérieurs. Par ailleurs, le régime des sûretés légales
connait également des particularités propres aux procédures collectives.
2 : La dévalorisation des sûretés
Le droit des procédures collectives rompt l’équilibre classique existant entre les
créanciers. En effet, si, dans un régime de droit commun, les sûretés réelles confèrent aux créanciers un privilège, dont celui du droit de suite et du droit de préférence aux
autres créanciers chirographaires, tel n’est pas toujours le cas dans le cadre des
procédures collectives. Le jeu normal de ces sûretés réelles se trouve en effet
contrebalancé par certains mécanismes qui, du fait de la priorité qu’ils confèrent à
leurs titulaires, font de ces sûretés des garanties peu ou pas du tout efficaces.
Il sied de souligner tout d’abord qu’en vertu de la priorité de paiement
accordée aux créanciers postérieurs, un créancier chirographaire dont la créance est
postérieure au jugement d’ouverture de la procédure se trouve dans une situation
plus confortable par rapport à un créancier disposant d’un privilège mais dont la
créance est antérieure à l’ouverture de la procédure. C’est ce que démontrent les
dispositions de l’article 600 du code de commerce qui prévoit que, dans le cadre du
plan de continuation de l’entreprise, et en cas de vente d’un bien grevé d’un privilège
spécial ou d’un nantissement, les créanciers bénéficiaires de ces sûretés sont payés
sur le prix après le paiement des créanciers qui les priment, en l’occurrence ceux cités
par l’article 575. Le classement des créanciers prévu par le droit commun des sûretés
réelles se trouve ainsi modifié, affaiblissant par conséquent le droit de préférence.
Plus que ça, le législateur, animé par le souci de privilégier l’intérêt de
l’entreprise, prévoit à travers l’article 601 une substitution aussi bien conventionnelle
que judiciaire des garanties. C’est notamment le cas où, à l’occasion de l’exécution du
plan de continuation et afin de favoriser la survie de l’entreprise, la vente d’un bien
grevé s’impose. C’est ainsi que l’article précité prévoit une substitution de garantie,
d’abord avec l’accord du créancier, à condition que cette substitution présente des
avantages équivalents. Cependant, même en dehors de cet accord, la loi a autorisé le
tribunal à procéder à une substitution forcée de cette garantie. L’ancienne sûreté est
donc radiée après constitution de la nouvelle, de telle sorte que les créanciers gagistes
ne seront pas payés au moment de la vente du bien grevé. Une mesure qui fait
exception au droit des sûretés. Ces dernières se trouvent ainsi battues en brèche au
profit de l’intérêt général de sauvetage de l’entreprise en difficulté. Par ailleurs, dans le cadre de la cession de l’entreprise, certaines sûretés réelles
risquent de disparaître du fait de la vente du bien grevé. En effet, l’article 616 prévoit
qu’en cas de vente d’un bien grevé d’un nantissement ou d’une hypothèque, une
quote-part correspondant aux créances garanties par ces sûretés réelles sera affectée
par le tribunal au paiement desdites créances et pour l’exercice du droit de
préférence. Cependant, des difficultés pourraient surgir quant à l’interprétation à
réserver à cette quote-part. Ainsi, le texte ne fournit aucune précision quant à
l’évaluation de cette quote-part. A ce propos, on se demande si les créanciers
concernés sont en droit d’engager un recours contre le prix affecté par le tribunal, et
dans l’affirmative, quelle procédure à adopter pour mettre en œuvre ce recours. Cette
disposition légale ne permet à l’apparence au créancier privilégié aucune contestation
sur le montant de la quote-part. Des interrogations qui révèlent un caractère
lacunaire et une imprécision de la loi qui tolère implicitement de sacrifier les droits de
ces créanciers. Ce plan de cession comporte ainsi le risque de sacrifier les droits des
créanciers dans la mesure où souvent, le prix de cession demeure en pratique
insuffisant pour désintéresser les créanciers.
Le droit de suite se trouve également expressément modifié, notamment à
l’occasion de la cession de l’entreprise. Ainsi, ce droit ne peut être exercé pour le reste
du prix si le concessionnaire a versé l’intégralité du prix de cession, car le paiement
total du prix entraîne la purge des garanties et la radiation des inscriptions (art. 617).
Par ailleurs, le régime des procédures collectives restreint davantage les droits des
créanciers en paralysant toute action en justice à l’encontre du débiteur.
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