INTRODUCTION
La société anonyme est la forme
capitaliste de concentration de pouvoir par excellence, dans laquelle les actionnaires sont
liés à leur société par la détention d'un titre négociable. Leur intervention
dans la vie sociale ne s'effectue que par le biais des assemblées au sein
desquelles les décisions se prennent à la majorité. A savoir que la majorité n'est en principe qu'une fraction
mathématique des participants à un vote, qu'il s'agisse de l'assemblée ou des
organes de gestions[1].
Elle est en réalité l'actionnaire ou les actionnaires qui, grâce au nombre
d'actions qu'ils détiennent, soient assurés de dominer le vote et par
conséquent, faire passer toutes les décisions qu'ils proposent et auxquelles
tous les actionnaires doivent s'incliner.
L’intervention des différents
actionnaires, et leur participation à la vie sociale de la société peut générer
un déséquilibre et des abus. Car les actionnaires étant majoritaires, peuvent
user de leurs pouvoirs d’une façon abusive et léser les actionnaires
minoritaires qui
de par leurs faible participation dans la société, ne jouent pas un rôle
décisionnel important durant les assemblées, n’ont pas de contrôle sur la
société et craignent que
les majoritaires abusent de leur pouvoir et dirigent la société dans leur seul
intérêt personnel. . C’est ainsi qu’on parle d’abus de
majorité qui se constitue par un vote contraire à l’intérêt sociale et qui est
émis dans l’unique dessein de favoriser
la majorité au détriment des
autres associés ou actionnaires. L'abus de majorité suppose donc un préjudice
subi par la minorité, soit sous la forme de la privation d'un avantage réservé
aux seuls majoritaires, soit en un désavantage subi par les seuls
minoritaires. L’abus de majorité, minorité ou d’égalité, génère des
conflits allant jusqu’à paralyser le fonctionnement de la société. D’où
l’importance de se pencher sur ce sujet, dans le but de garantir la continuité
de la société tout en protégeant les différentes parties.
Soucieux de la continuité de la société et
conscient du rôle des actionnaires minoritaires, le Maroc a tenté de l'entourer
d'une protection spéciale les actionnaires minoritaire par un arsenal juridique non négligeable, mais perfectible,
afin de leur accorder de plus en plus de poids dans la gestion
des sociétés. Et ce conformément aux dispositions de la loi n° 20-05
modifiant et complétant la loi 17/95 relative aux sociétés anonymes.
En droit Allemand, l’idée d’abus de majorité
est également présente[2],
néanmoins les actionnaires jouissent de droits plus étendus qu’en droit
marocain, notamment relatifs au contrôle et à la gestion de la société anonyme.
Le droit anglais quant à lui a prévu deux
types de protection afin de protéger les associés du risque d’abus de majorité.
La première a été développée par le droit judiciaire, la seconde par la loi[3].
Aux États-Unis, l’abus de majorité n’est pas soumis à des critères fondamentalement
différents que dans d’autres législations. Les véritables points de résistance
s'observent au stade des sanctions : plus variés qu'en France, les remèdes mis
en place par les tribunaux américains sont également plus efficaces[4].
L’on constate que la protection de l’actionnaire minoritaire
préoccupe toutes les législations dans le monde entier, dans le but de protéger
la pérennité de la société, et d’éviter la rupture d’égalité entre les
différents actionnaires.
Ainsi, l’intérêt de notre sujet porte sera
d’étudier la protection des actionnaires minoritaires, en répondant à la
question suivante :
Comment sont protégés les actionnaires
minoritaires ? Quelle appréciation de l'évolution du droit marocain en la
matière, et quelle évaluation de ses avancées et retards par rapport à d’autres
pays ?
PLAN
Introduction
I-
Les garanties
légales des actionnaires minoritaires
A. Les droits des
actionnaires minoritaires
1.
Le droit à l'information
a-
L'information comptable et financière
b-
L'information sur la gestion
2.
Le
droit des actionnaires minoritaires aux assemblées
a. L'accès des
actionnaires minoritaires aux assemblées
b. L'expression
des minoritaires au sein des
assemblées
B. L’ineffectivité et les carences de la protection légale des
actionnaires minoritaires
II-
Les
garanties judiciaires des actionnaires minoritaires
A. Les recours judiciaires
ouverts aux actionnaires minoritaires
1.
Les fondements des actions judiciaires
a. L’abus de majorité
b. L’intérêt social
2- La mise en
œuvre de l'action
a.
Devant le juge des référés
b.
Devant le juge du fond
B. Les insuffisances
judiciaires et les mesures alternatives
1- la difficulté de mise en œuvre de l’action judiciaire
a.
La qualification du juge
b.
La difficulté de preuve
c.
L’intérêt des actionnaires minoritaires
2- Les alternatives au recours judiciaire
a.
Les mesures préventives
b.
Les mesures extrajudiciaires
CONCLUSION
I-
Les garanties légales des actionnaires minoritaires
A- Les droits des actionnaires minoritaires
Pour
garantir une participation active des actionnaires aux assemblées, la loi sur
la société anonyme a organisé un véritable droit à l'information que doivent
recevoir les actionnaires, en définissant les informations qui doivent être
diffusées et même le contrôle de la fiabilité de cette information. C'est ce
qu'on va aborder lors du premier point (A) de ce paragraphe tandis que le
deuxième point sera consacré aux droits des actionnaires de participer aux
assemblées générales (B).
1-
Le droit à l'information
L'information
sous toutes ses formes, générales ou spéciales, permanente ou périodique, a
pour finalité de permettre à l'actionnaire de prendre connaissance de la marche
des affaires au sein de la société. Elle est aussi un moyen de protéger
l'investissement fait par l'actionnaire car c'est à partir de l'image qu'elle
lui donne de la vie sociale qu'il décidera de céder, conserver ou accroître les
valeurs qu'il détient[5].
Le
droit à l'information a été organisé par la loi 17-95 sur la société anonyme
dans les articles 140 à 156, dans ces articles le législateur détermine un
certain nombre d'informations qui doivent être diffusées et à quel moment cela
doit se faire. Ainsi deux types d'information peuvent être dégagés de ces
textes, d'une part l'information comptable et financière (a) et l'information sur
la gestion (b) d’autre part.
a-
L'information comptable et
financière
L'information
comptable et financière doit couvrir tous les événements marquants de la vie
sociale et tous les domaines d'activité de la société, de telle sorte que
l'actionnaire peut facilement faire les comparaisons d'une année à l'autre ou
d'un exercice à l'autre.
A
noter qu’il existe deux types d’informations : l’information permanente et
l’information préalable.
b- L'information sur la
gestion
L'information
sur la gestion a été pendant longtemps considérée comme l'un des secrets des
affaires qui doit être l'apanage des seuls dirigeants, ceux-ci se contentaient
de publier des informations vagues destinées aux actionnaires minoritaires.
L’information
sur la gestion peut être procurée aux actionnaires soit par les dirigeants
grâce notamment au rapport de gestion, soit par le commissaire aux comptes. De
même que les actionnaires peuvent provoquer cette information grâce à la
demande de désignation d'un expert en gestion.
2- Le droit des actionnaires minoritaires aux assemblées
Qu'il
soit minoritaire ou majoritaire, tout actionnaire a le droit de participer aux assemblées et de
manière générale de participer à la gestion commune de la société comme le
prévoit l'article 1015 du Doc qui stipule que «le droit d'administrer les
affaires sociales appartient à tous les associés conjointement et nul ne peut
l'exercer séparément, s'il n'y est pas autorisé par les autres ». Bien
plus, l'article 387 de la loi sur la société anonyme sanctionne d'un mois à 6
mois de prison et/ou amende allant jusqu'à 8000 DH quiconque interdise
intentionnellement à un actionnaire de participer à l'une des assemblées
d'actionnaires.
Vu leur situation fragile, les actionnaires
minoritaires sont plus que les autres soucieux de l'intérêt social, et c'est
pour valoriser leur participation aux différentes assemblées que le législateur
a pris soin d'organiser aussi bien le droit d'accès aux dites assemblées (a)
que celui de s'exprimer en leur sein (b).
a- L'accès des actionnaires
minoritaires aux assemblées
Qu'ils
décident d'assister à l'assemblée personnellement ou par la représentation d'une tierce personne,
les actionnaires doivent au préalable et sans
distinction être avertis de la date et de lieu de la réunion de
l'assemblée à laquelle ils entendent
participer, chose qui ne se réalisera qu'à travers une convocation.
1- Le droit de se faire représenter aux
assemblées
Si
le droit de se faire représenter aux assemblées est reconnu légalement aux
actionnaires sa valeur n'en est pas moindre en fonction du choix du mandataire
(a) et de l'exercice du mandat (b). C'est pour cette raison qu'il y a une
réglementation très précise.
- Le
choix du mandataire
L’article
131 de la nouvelle sur les sociétés anonymes dispose « qu'un
actionnaire peut se faire représenter par un autre actionnaire, par son
conjoint ou par un ascendant ou descendant» et pas au-delà. Et d'ailleurs
cette attitude est parfaitement justifiée en égard au fait qu'elle permet
d'éviter l'intrusion des professionnels au sein de la société, lesquels ont
tendance plutôt à spéculer au lieu de discuter réellement des problèmes de la
société.
-
L'exercice du mandat
L'exercice
du mandat suppose tout d'abord l'existence d'une procuration. Ainsi l'article
132 de la loi 17/95 dispose dans son premier alinéa que : « la
procuration donnée pour se faire représenter à une assemblée par un actionnaire
est signée par celui-ci et indique ses prénoms, nom et domicile ».
Egalement étant donné que le mandat est basé sur la considération de la
personne surtout que le sens du vote dépend de celle-ci, le même article a
ajouté que le mandataire ne peut recourir à une autre personne pour exécuter
son mandat.
L'article
ajoute que le mandat donné pour une assemblée vaut pour les assemblées
successives convoquées avec le même ordre du jour. Toutefois, ceci ne prive
nullement le mandat de révoquer son mandataire, au contraire, il peut à tout
instant le faire, car son droit est d'ordre public et aucune clause ne peut le
lui ôter. Evidemment, cette révocation suit le régime du droit commun, et elle
peut être tacite notamment par la présence effective du mandat à l'assemblée, mais
ne concerne que les résolutions non encore votées. Il faut aussi signaler que
la révocation n'est opposable à la société qu'à compter de la date où lui
parvient cette information[6].
b- L'expression des minoritaires au sein des assemblées
Comme
on l’a signalé ci-dessus, permettre à l'actionnaire d'accéder et voter à
l'assemblée n'est pas en soi une garantie suffisante ; car ce vote doit
exprimer exactement son choix. D’où la nécessité de sa participation aux débats
(a) et sa liberté de voter (b).
1- La
participation des minoritaires aux débats
Il
faut dire que les débats restent une condition nécessaire pour forger la
volonté commune des actionnaires[7]. Laquelle ne peut
s'instaurer qu'après un débat ouvert et démocratique en ce sens que celui qui
dirige le débat, à savoir le président de l'assemblée, est obligé de laisser le
temps nécessaire à tout actionnaire pour expliquer son point de vue et justifier
sa position.
Les
débats permettent également une information complémentaire pour les
actionnaires; ainsi, aux termes de l'article 119 de la loi 17/95 l'auteur de la
convocation doit établir et présenter à toute assemblée, un rapport sur les
questions inscrites à l'ordre du jour les résolutions soumises au vote. Les
actionnaires minoritaires peuvent formuler toutes les questions estimées utiles
par eux, ils peuvent contester le rapport de gestion, formuler des réserves
pour telle ou telle opération. Certaines sociétés usent actuellement des
techniques modernes (projection de diapositives ou des films, réceptions à la suite de la réunion au cours
desquelles une discussion informelle peut avoir lieu avec les dirigeants…).
2- Le droit des
actionnaires de voter librement aux assemblées
Avant
d'entamer la question de l'exercice de vote et son impact sur les minoritaires,
nous traiterons tout d'abord, le principe de la liberté du droit de vote.
§ Le principe de la liberté de vote
De
prime abord, il faut relever à ce sujet que l'article 387 alinéa 3 sanctionne
de prison et d'amendes ceux qui se seront fait accorder, garantir ou promettre
des avantages pour voter dans un certain sens, ou pour ne pas participer au
vote. Ainsi que ceux qui auront accordé, garanti ou promis ces avantages.
§ L'exercice du droit de vote
L’article
259 de la loi sur la société anonyme dispose que : « sous
réserve des dispositions des articles 257, 260, et 261, le droit du vote
découlant des actions de capital ou des actions de jouissance, est
proportionnel à la quantité du capital qu'ils représentent et chaque action
donne une voix au moins. Et toute clause contraire est réputée non écrite »,
et il ajoute : « qu'il est interdit d'émettre d'autres
actions autres que celles prévue à l'article 157 de la même loi ».
En conséquence, il paraît clair de cet article que le législateur est attaché à
une certaine égalité entre les actionnaires de peur de voir que les
majoritaires usent de leur influence pour s'attribuer des voix au-delà de ce
que permet leur participation au capital.
B.
L’ineffectivité et les carences de la
protection légale des actionnaires minoritaires
L’inégalité
est au cœur de la société anonyme. Les actionnaires qui ne participent pas à
son administration et à sa gestion y sont dépourvus de la maîtrise de leur
investissement. Les majoritaires se trouvent alors tentés d'abuser de ce
rapport de force fortement déséquilibré en leur faveur.
Le
législateur marocain a mis en place un
dispositif adéquat pour mieux protéger les actionnaires minoritaires. En effet,
les dispositions traitées en première partie démontrent clairement le souci
pour le législateur de compatir à leur
impuissance. In jure, les actionnaires
minoritaires disposent désormais de
plusieurs armes pour remettre en cause les décisions prises par les
majoritaires et pour sanctionner les fautes commises par les dirigeants sociaux
dans l'exercice de leurs fonctions.
In
facto, le non-respect de la loi et
l’abus de pouvoir est toujours
omniprésent. La raison du plus fort est toujours la meilleure. Une raison que
l'on ne peut pas rationnellement rejeter parce qu'elle est réelle. Puisque les
droits des actionnaires minoritaires
sont toujours lésés. Que ce soit au niveau de l’information, de
participation aux assemblées générales, au vote …
Certes
le droit de l'information est un droit qui se trouve en bas de la pyramide et
sans lequel la société ne saurait exister longtemps. C’est l’un des grands
piliers du bon fonctionnement de la société.
La
loi a assuré aux actionnaires une meilleure information afin d'obtenir une
participation active à la vie sociale et permettre à ceux-ci d'être pleinement
éclairés pour exprimer leur droit de vote.
Mais
ce droit se voit toujours lésé même si la loi lui conféré plusieurs
disposition, et qu’elle est claire sur ce sujet. Nous pouvons illustrer notre
travaille par un exemple parmi des milliers d’autre.
L’américain
Pepsi Co sur Danone, qui a fait bondir de 27% l’action du groupe français en
deux semaines, alimente les soupçons d’une action de délit d’initié orchestrée
par Danone. L’information est parue dans un magazine où Christine Mital, la
sœur de Frank Riboud, PDG de Danone, est éditorialiste. Bien que la rédaction
ait nié que la journaliste soit à l’origine de cette information, une enquête a
été ouverte par l’autorité des marchés financiers suite à une plainte de
l’association des actionnaires minoritaires (Adam) pour “manipulation de cours”
du titre Danone. Par cette action, les actionnaires minoritaires font valoir
leur droit à l’information juste et équitable, dans le sens où le groupe Danone
n’a pas réagi immédiatement pour infirmer les informations qui ont fait grimper
son cours.
Des
sociétés cotées, impactent anormalement
leurs cours boursiers, sans que leurs dirigeants ne daignent réagir pour les
corriger. Plusieurs exemples peuvent être cités dans ce sens: CIH, DiacSalaf,
Diac Equipement, La Marocaine-Vie, Samir… Les procédés de recours et de
protection des actionnaires minoritaires face à de telles abus sont présent
certes, mais insuffisants et fonctionnent très mal dans la pratique.
Les
actionnaires minoritaires peuvent provoquer une demande de désignation d’un
expert en gestion. Mais les résultats produits par l’expertise sont décevant.
Puisqu’il présente un rapport qui est communiqué au commissaire au compte et à
la prochaine assemblée générale. Mais celle-ci dominée par les majoritaire ne
peut en aucun cas être satisfaisante.
On
sait très bien que nul ne peut exercer les fonctions de commissaire aux comptes s’il n’est pas
inscrit au tableau de l’ordre des experts comptables. Ce qui fait qu’il ne peut
pas être compètent de manière générale sur les prérogatives juridiques.
Un
autre cas existe, notamment dans les sociétés cotées en Bourse. Les sociétés faisant
appel public à l’épargne ont, en effet, l’obligation légale de rendre publics
leurs pactes d’actionnaires. Car la logique veut que les sociétés et
particuliers ayant nouvellement acquis des parts aient le droit de prendre
connaissance de l’ensemble des informations relatives à leurs titres. Mais
cette mesure, qui vise à rétablir l’équilibre, ne serait-ce qu’en termes
d’information, s’avère d’une efficacité toute relative dans la pratique.
Les
principes fondamentaux de la société anonyme sont ceux de transparence et
d’égalité de l’information des actionnaires quel que soit le montant de leur
participation.
La
loi leur confère les mêmes droits et
leur attribue les mêmes moyens de défense de leurs intérêts. Cependant, cette
égalité n'est qu'une apparence parce que, dans la pratique, c'est la majorité
qui impose sa volonté même au préjudice des droits des actionnaires
minoritaires. La rupture d’égalité suppose un dommage subi par l’ensemble des
actionnaires. Lorsque actionnaires majoritaires commettent des abus, les
actionnaires minoritaire peuvent subir des préjudices.
Le
préjudice peut résider dans le seul fait pour les actionnaires minoritaires de
ne pas profiter des avantages retirés par les majoritaires .Mais les
minoritaire doit prouver que l’acte mis
en cause lui a causé un préjudice.
L’abus
de pouvoir de vote suppose aussi l’existence
d’une rupture d’égalité entre les actionnaires. Il s’agit en fait pour
chaque actionnaire de privilégier son intérêt propre.
L’intérêt
social se trouve méconnu lorsqu’ un acte
ou une décision des dirigeants sociaux satisfait l’intérêt personnel de ceux-ci
ou de celui des autres actionnaires au détriment de la société ou des
actionnaires minoritaires. Ces derniers, enfreignent à leur devoir de loyauté
et concomitamment la loi.
La
participation des actionnaires minoritaires à l’assemblé générale est certes un
droit que leur accorde la loi. Et le rôle de celle-ci est
fondamental. Mais la pratique correspond mal à la théorie. On sait de
longue date en effet que, surtout dans les sociétés d'une certaine importance,
de nombreux actionnaires s'abstiennent de prendre part personnellement aux
assemblées. Souvent la masse nécessaire pour la validité des délibérations
n'est pas atteinte lors des assemblées extraordinaires où ne l'est que grâce au
système des pouvoirs en blanc. Dans ce cas, les décisions de l'assemblée
générale n'expriment en fait que l'opinion du groupe, limité plus ou moins, des actionnaires disposant du
contrôle de la société.
Toutefois,
l’état actuel de cette situation commence à évoluer, dans de nombreuses
sociétés, les actionnaires minoritaires détenant un certain capital social
qui peuvent intervenir dans la marche de
la société, ont pris conscience du poids
que pouvaient prendre leurs interventions aux assemblées et de la pression
qu'ils pouvaient ainsi exercer sur les dirigeants sociaux et sur les
actionnaires majoritaires.
Les
actionnaires minoritaire ne peuvent avoir la faculté de requérir l’inscription
d’un ou plusieurs projets de résolution à l’ordre du jour, que s’ils détiennent
un pourcentage de capital fixé par la loi au
moins 5% du capital social.
Les
actionnaires détenant au moins 10% du capital peuvent demander au tribunal de
nommer un mandataire chargé de convoquer l'assemblée générale des actionnaires
si le conseil d'administration ou le conseil de surveillance omet de le faire.
Mais
toute fois il reste encore la contrainte
du pourcentage minimal, pour exercer les
droits cités par la loi.
La
loi ne précise pas plus le contenu des questions mais la relation entre
l’assemblée générale et ce droit, les questions posées doivent être en rapport
avec l’ordre du jour de l’assemblée générale.
Ainsi
la loi énonce que le conseil d’administration répond aux questions au cours de
l’assemblée générale, mais le problème c’est comment savoir si la réponse est
suffisante à la question posée ?
Au
niveau de la distribution des dividendes c’est la majorité de l’assemblée qui
décide et estime la part des bénéfices à distribuer. Et si elle décide de
placer en réserve une partie des dividendes, les actionnaires minoritaires se
trouvent dans l’obligation de céder à
cette décision, sauf s’ils démontrent un abus de majorité devant les tribunaux.
En
général, les actionnaires minoritaires n'exercent pas pleinement leurs droits
et se contentent d'assister aux assemblées générales et d’encaisser leurs
dividendes normalement, parce qu’ils n’ont pas d’autre choix que de suivre les décisions de
la majorité, sauf que si ces dernières
sont arbitraires ou peuvent être
nuisible à la société.
In
fine ces critique des dispositions de
loi relatives à la protection des actionnaires
minoritaires dans la société anonyme, tel le droit à l’information, le
droit de vote, la participation aux assemblées, ou encore la diffusion d’informations fausses ou
insuffisantes. Tout ceci démontre les carences de la réglementation. La plus
importante concerne la prise en compte des intérêts des actionnaires
minoritaires, que leurs droits sont en
général délaissés par les organes
dirigeants. Spécialement au niveau des assemblées générales, qui doivent
prendre en compte leurs décisions, remarques et observations. Pour une
participation active aux décisions concernant des changements fondamentaux pour
la société. Tout ceci incite les
actionnaires minoritaires à se tourner vers la justice.
II.
Les garanties judiciaires des actionnaires
minoritaires
A. Les recours judiciaires ouverts aux actionnaires minoritaires
Les principes d’égalité entre
actionnaires et d’intérêt social, paraissent régir le droit des sociétés et en
sont donc les fondements (a). Cependant, il arrive que les actionnaires
majoritaires, ne témoignent d’aucun égard à ces principes. La loi a donc ouvert aux
actionnaires minoritaires, deux catégories d’actions judiciaires leurs permettant
de faire valoir leurs droits et ceux de la société (b).
1.
Les fondements des actions judiciaires
·
L’abus de
majorité
En l'absence d'une
définition législative, la théorie de l'abus de majorité est une création
jurisprudentielle inspirée de la théorie civile de l’abus de droit. En effet,
c’est dans un arrêt de principe[8], que sa définition et
les conditions de sa mise en œuvre ont été prévues.
Cette
théorie d’abus de majorité s’articule autour d’une autre théorie encore plus
large, celle de l’intérêt social.
·
L’intérêt
social
L’intérêt social constitue une notion
essentielle du droit des sociétés tant elle conditionne la licéité de la
plupart des décisions prises au sein des sociétés commerciales. Bien qu’il ne
fasse l’objet d’aucune définition légale, l’intérêt social est utilisé à de
nombreuses reprises par le droit des sociétés qui en fait un critère de
référence, notamment, en matière de responsabilité des dirigeants.
Ainsi nous nous apercevons qu’abus de majorité et
intérêt social ne sont que les deux facette d’une même pièce, l’une servant à
mettre en œuvre l’autre.
Au regard de la jurisprudence luxembourgeoise[9], il y’a abus de
majorité que si la décision prise est contraire à l’intérêt social et dans
l’unique dessein de favoriser la majorité.
La question qui
pourrait être posée, est que moyennant le recours à cette théorie d’abus de
majorité combinée à celle d’intérêt social, la minorité pourrait-elle imposer
une décision positive contre la volonté de cette majorité, au seul motif que la
volonté minoritaire serait conforme à l’intérêt social ?
On ne peut imaginer que le juge puisse interférer de
façon directe dans la gestion d’une société en imposant une vision minoritaire
à la majorité ; la raison est que la sanction de l’abus de majorité,
(outre la condamnation pénale en droit Marocain) consiste en une indemnisation
ou une annulation de la décision litigieuse.
Pour qu’il en soit autrement, le juge devrait adopter
une attitude beaucoup plus active en se substituant pratiquement aux organes de
la société, pour imposer la décision conforme à l’intérêt social. Néanmoins si
les tribunaux sont réticents à imposer une certaine façon d’agir contre la
volonté de la majorité, ils ont la possibilité de le faire indirectement
moyennant l’institution d’un administrateur provisoire ou d’un administrateur
ad hoc, investi d’une mission plus ou moins précise.
De manière significative,
les actionnaires et administrateurs majoritaires avaient fait valoir en
l’espèce qu’ « il n’y aurait pas lieu à intervention du juge des référés
au motif que les organes de la société sont en état de fonctionner
normalement ; que le demandeur étant
minoritaire dans la société, est tenté d’obtenir par voie judicaire ce qu’il ne
peut pas obtenir en vertu de la loi sur les sociétés » à cela le juge
répond, que « l’évolution de la jurisprudence devient de plus en plus
favorable à la désignation des administrateurs provisoires et il échait
actuellement de s’inspirer des intérêts sociaux par préférence aux intérêts
personnels de certains actionnaires fussent-ils majoritaire ». [10]
En définitive
l’approche autant belge que luxembourgeois opte pour perspective large
d’intérêt social en y incorporant tous les acteurs de la vie sociale d’une
société, En effet, cette notion est la traduction de la conception de
la société ,étant l'intérêt de l'entreprise organisée comme personne
morale avec une autonomie juridique poursuivant ses fins propres, dans
l'intérêt général commun des actionnaires, des salariés, des créanciers et
autres personnes intéressées pour en assurer la prospérité et la continuité[11].
La jurisprudence française quant à elle est l’illustration même de
l’oscillation de la doctrine entre conception restrictive et extensive[12]. Nous ne nous attarderons donc pas à son
étude, étant donné qu’elle ne nous sera d’aucune plus-value. D’où l’intérêt d’étudier la position
nord américaine, qui Après avoir défendu pendant longtemps que l’intérêt de la
société se résumait à l’intérêt des actionnaires, la construction juridique
nord-américaine a modifié sa position. Dans l’arrêt de la Cour Suprême Magasins
à rayons Peoples Inc. (Syndicde) c. Wiserendue en 2004, les magistrats
rejettent la thèse de la primauté de l’intérêt des actionnaires au profit de la
théorie des parties prenantes.
En effet,
les législateurs canadiens ont préféré ne pas se prononcer sur le sens à donner
à l’expression « intérêt social » souhaitant laisser aux tribunaux le
soin de l’interpréter et de la faire évoluer[13]. La réponse traditionnelle du droit canadien
consistait en une prédominance de l’intérêt des actionnaires, la construction
juridique canadienne suivait en cela la position américaine.[14]
Rompant
avec la tradition ancestrale capitalise, favorisant la maximisation des
intérêts des actionnaires, l’arrêt de la Cour suprême du Canada Magasins à
rayons Peoples Inc. (Syndic de) c. Wise
a bouleversé de nombreuses idées reçues en droit des sociétés
reconnaissant la pertinence des intérêts
de toutes les parties prenantes.
En faisant
de la société l’unique bénéficiaire du devoir de loyauté des administrateurs,
cette décision écarte le courant jurisprudentiel de la House of Lords
britannique qui permet aux créanciers d’agir à l’encontre des administrateurs,
ceci en leur reprochant d’avoir dilapidé l’actif de la société.[15]
Par
ailleurs, cette position de la Cour suprême canadienne concorde avec une
certaine interprétation économique qui conceptualise la société par actions
comme un réseau de contrats.
Selon
la théorie du réseau de contrats, la société par actions est une créature
législative artificielle qui sert de structure d’accueil pour l’établissement
de relations contractuelles entre les différents participants à la production[16].
Ainsi après
avoir analysé les fondements des actions judiciaires ouvertes aux actionnaires
minoritaires, nous verrons dans quelle mesure ces derniers disposent de moyen
de recours devant le juge du fond, avant de nous atteler aux procédure
d’urgence que la loi prévoit.
La loi a permis aux actionnaires
minoritaires de s'adresser à la justice pour faire valoir leurs droits, et ils
ont à cet égard le choix entre solliciter l'intervention du juge des référés en
cas d’urgence. De la même façon, ils ont la possibilité de recourir au juge de
fond.
·
Le domaine d'intervention du juge des référés
A
juste titre les dispositions de l'article 116-3 de la loi 17/95 et qui permet
dans son troisième alinéa, à tout intéressé[17]
en cas d'urgence de se pourvoir devant le président du tribunal, en tant que
juge des référés. On peut citer aussi les dispositions de l'article 165 ou
l'article 148 de la même loi.
A
l'opposé de ces cas, la loi a prévu d'autres situations où l'exigence d'un
pourcentage du capital social est de rigueur, comme ce fut le cas pour les
dispositions de l'article 164-1 et 157.
De
la comparaison de ces deux ordres de situations, l'on est amené à dire que le
législateur a tenu en compte la nature des intérêts en jeu, de la sorte,
l'intéressé n’est pas tenu de représenter cette quotité du capital lorsque la
gravité de la situation et son extrême urgence exige cette intervention. Si au
contraire, il s'agissait uniquement de faciliter à une catégorie d'actionnaire
de participer à la gestion de cette société, la loi exige une quotité du
capital social afin notamment d'éviter que le fonctionnement de celle-ci ne
soit perturbé par des demandes abusives.
·
Les conditions de saisine du juge des référés
Pour
ce qui est tout d'abord des conditions exigées du demandeur, on peut relever,
en premier lieu, la qualité qui
est prévue par l'article premier du code
de procédure civile. comme c'est le cas
pour les demandes relatives à la prolongation du délai de réunion de
l'assemblée prévu par l’article 115 de la loi 17/95 ou également le cas prévu à
l'article 112.
En
outre, nous pouvons voir dans la limitation de certaines actions à un ou
plusieurs actionnaires représentant, une quotité du capital comme étant une
illustration de cette condition qui est la qualité.
En
effet, s’estimant lésés, des actionnaires minoritaires possédant 11,72 % des
actions ont dénoncé l’opération, en sollicitant devant le Président du Tribunal
de Commerce de Casablanca, le report de l’assemblée générale extraordinaire qui
doit statuer sur le projet de fusion.
Il ressort des attendus du présent
arrêt que la Cour d’Appel de Commerce [18]a estimé la décision du Président
du Tribunal de Commerce de Casablanca ordonnant le report est fondée et
justifiée non pas par l’article 157 précité mais par l’article 21 de la loi
instituant les juridictions de commerce.
Il est de
jurisprudence constante que l’intervention du juge des référés en cas
d’urgence, soit recevable sans que la décision soit préjudiciable au fond du
litige. [19]
c-
Devant le juge du fond
Aux
termes de la loi 17/95, deux types d'actions sont mises à la disposition des
actionnaires minoritaires pour faire prévaloir leurs droits, soit qu'ils
intentent une action en nullité (a) contre la décision qui leur fait grief,
soit qu'ils optent pour l'action en responsabilité (b) pour obtenir
dédommagement du préjudice souffert par eux.
·
L'action en
nullité
L’action
en nullité recouvre deux catégories fort différentes l’une est l’application du
droit commun des nullités des décisions de société. L’autre est la création
prétorienne d’une jurisprudence propre à protéger les minoritaires contre un
abus des majoritaires.
Les
articles 337 et 338 de la loi 17/95, ont
posé les principes généraux de nullité. Ces deux articles conduisent à
distinguer entre décisions modificatives des statuts et les autres décisions.
Pour
s’en tenir aux seules causes de nullité des assemblées générales ordinaires,
une délibération peut être annulée pour incapacité, vice de consentement, objet
illicite par application des lois qui régissent les contrats. Le droit des
sociétés étant technique, ce sont les vices de forme qui sont plus nombreux.
Dans certains cas, la loi ne laisse au juge aucun pouvoir d’appréciation
On
peut à cet égard citer comme exemple les cas énumérés par l'article 139 de
cette loi qui sanctionne de nullité les délibérations des assemblées faites en
violation des articles 110-111-113/3, 117-118/2-et 134.
Dans
d’autres cas, la nullité n’est encourue que si l’irrégularité est de nature à
influer sur la décision, tel le vice qui peut résulter du caractère irrégulier
de l’assemblée générale ou du défaut de communication aux actionnaires des
information qui doivent être tenue à leur disposition. Ces différents cas sont
visés par des textes, mais d’autres cas de nullité peuvent simplement résulter,
des principes de l’article 337 et 338 de loi 17/95.
Face
à ces situations, il y en a d'autres où
le juge reconquiert cette liberté d'appréciation. Ainsi et dans une logique
d'éviter que soient prononcées de façon fréquente les nullités, l'article 340
de la même loi affirme qu'il est permis au tribunal de fixer même spontanément
un délai où les parties peuvent régulariser la situation[20]
D'ailleurs
au sens du même article, il ne peut trancher qu'après écoulement de deux mois
au moins après l'introduction de la demande en justice. Egalement, si la
régularisation nécessite la convocation d'une assemblée générale pour se réunir
ou la consultation d'actionnaires, le juge doit accorder aux parties un délai
suffisant pour effectuer ces démarches et ne peut statuer qu'à la fin de ce
délai et en l'absence de toute décision prise par les actionnaires concernés.
Toutefois,
ces dispositions ne sont pas applicables lorsque le vice n'est pas réparable en
raison de son caractère illicite en vertu des dispositions de l'article 341 qui
renvoie aux articles 984 et suivants du DOC ce qui est tout à fait évident vu
le caractère d'ordre public de ces dispositions.
Enfin
il y’a lieu de distinguer entre nullité absolue et relative. En effet, si la
nullité est la sanction d’une règle protectrice des intérêts propres d’un
actionnaire déterminé (incapacité, vice de consentement, défaut de convocation,
…) l’action est réservée à l’actionnaire intéressé, c’est une nullité
relative. C’est seulement quand la règle
de droit violée est d’intérêt général (majorité, quorum, ..) que tout
actionnaire peut agir en justice. La jurisprudence a tenté de résoudre à la
question essentielle, de savoir si la recevabilité de l’action en nullité est
conditionnée par le pouvoir réel de vote du minoritaire.
La
jurisprudence a été mitigée à ce sujet, puis a admis que l’action en nullité
puisse être exercée par un actionnaire qui ne l’était pas au moment de la
décision critiquée[21].
Le juge a été soucieux de permettre à un nouvel actionnaire de s’intéresser à
la vie de société.
·
L'action en responsabilité
Le substitut de la class action
en matière de société en France est une action dite sociale, ainsi qualifiée
par opposition à une action individuelle.
L’action sociale est
naturellement exercée par les représentants de la société. Mais elle peut aussi
être exercée par un ou plusieurs actionnaires agissant pour la société :
on dit alors que l’action est une action sociale exercée personnellement ou
« ut singuli ». C’est bien sûr
dans cette hypothèse qu’elle fournit une arme de choix aux minoritaires.
Ainsi, la loi a donné aux
actionnaires le droit de l’intenter eux-mêmes (article 353 loi 17/95), à
condition que la société soit régulièrement mise en cause par l’intermédiaire
de ses représentants légaux. Il est également possible aux actionnaires de
donner mandant à certains d’entre eux pour les représenter.
En réalité la voie de l’action
collective n’est ouverte que pour des raisons économiques. Que décider alors
quand peu après l’introduction de l’action sociale des minoritaires, la société
introduit à son tour, une action sociale ?
La cour de cassation française[22]
a décidé alors que l’action exercée par un actionnaire n’est pas éteinte par
l’action sociale exercée postérieurement par la société.
L’action individuelle quant à
elle est une action d’usage beaucoup plus limité, dans la mesure où elle est
ouverte à toute personne lésée par la faute d’un dirigeant (article 352 loi
17/95). Cette action est assez rare, dans la mesure où il est rare qu’un
dirigeant ait agi directement à l’encontre d’un minoritaire. Il est de
jurisprudence ferme de la cour de cassation française, que le préjudice de
l’actionnaire n’est alors que la conséquence directe d’un préjudice causé à la
société, qui ne peut être réparé que par l’action sociale.
B- Les insuffisances judiciaires
et mesures alternatives
L'autorité
judiciaire, en raison de sa mission de garante du respect de la loi et des
droits des individus, est considérée comme un élément essentiel assurant la
protection des actionnaires minoritaires.
Néanmoins,
sous peine d'irrecevabilité, le recours de l’actionnaire minoritaire au juge
est subordonné à l’existence d’un intérêt et, assez souvent, à la
détention d’une certaine quotité représentative de son participation au capital
social.
Ainsi,
en est-il des demandes, ayant pour objet la nomination d'un expert en gestion
pour élucider certaines opérations précises conformément à l'article 157 de la
loi 17/95.
Toutefois,
il faut remarquer à cet égard que la jurisprudence milite vers
l'assouplissement de ces conditions, notamment lorsqu'il existe un danger
imminent dont la réalisation affectera sérieusement la société ou une catégorie
d'actionnaires.
Mais
cette intervention du juge dans la vie sociétaire a été critiquée par la
doctrine pour la difficulté de sa mise en œuvre. Ainsi, des mesures
alternatives au règlement des conflits sont proposées.
I-
La
difficulté de mise en œuvre du recours judiciaire
La doctrine remet en cause la compétence du
juge en matière de protection des actionnaires minoritaires et évoque la
difficulté de preuve et l’opportunité d’agir de ces actionnaires.
a- La qualification du juge
La
question qui se pose, est ce que le juge a les compétences requises pour juger
le fond du contentieux de gestion des SA ?
En
effet, les juges n'ayant pas une formation de gestionnaires, d'entrepreneurs ou
d'économistes, il leur serait assez difficile de se prononcer sur l'utilité
d'une décision pour la société, ou encore de contrôler la conformité des
comptes aux exigences légales et à la réalité de la situation financière et
technique de la société.
Si les
juges n’ont pas à s’immiscer dans la gestion sociale, nous pensons qu’une
formation approfondie en droit des affaires leur permettrait d’être davantage
impliqués dans la gestion et le contrôle des SA à l’effet de préserver
l’intérêt social, que de prendre des décisions sans en mesurer la portée.
Aux
Etats-Unis, à titre d’exemple, des procureurs généraux se sont spécialisés dans
la défense des droits des minoritaires et ont joué ainsi un rôle bouleversant
en la matière.
Au
Maroc, malgré la possibilité de désignation d’experts en gestion, la doctrine a
affiché sa réticence à l'intervention des juges dans les affaires sociales. Il
a été invoquée l'immixtion des juges de fond dans la gestion sociale, en
imposant aux actionnaires leur interprétation de l'intérêt économique et
financier de la société, alors que chaque société a ses modes de gestion, ses
contraintes et surtout son historique qui rendent ses dirigeants indispensables.
b- La difficulté de preuve
Afin de
pouvoir sanctionner et réparer l’abus, il faudra tout d’abord le prouver. Pour
cela, il faudra que l’action réponde à deux conditions :
ü Que la
décision soit contraire à l’intérêt social, et qu’elle soit émise dans le seul
dessein de favoriser les actionnaires majoritaires. Il en découle que l’union
de ces deux conditions est impérative pour que l’on puisse qualifier un acte
d’abus de majorité. Il existe toutefois des situations où l’atteinte à une
société ait des conséquences graves sur sa pérennité et continuité sans que
cela soit dans le but de servir un intérêt d’un ou plusieurs actionnaires.
ü Se
rajoute à la difficulté de preuve, la définition de l’intérêt social vu l’absence
de définition légale et l’existence de deux courant doctrinaux ; le
premier reposant l’intérêt social sur celui de l’entreprise (personne morale)
dans une approche économique, le second le reposant sur l’intérêt commun de
tous les associés.
c- L’intérêt des actionnaires minoritaires
Entre
la bonne cause, l’indifférence et la mauvaise foi, l’intérêt des actionnaires
minoritaires est tributaire de plusieurs facteurs, donnant ou non une certaine
légitimité « morale » à leur action en justice. A ce titre, il faut
distinguer trois types de minoritaires :
ü les actionnaires qui ne s’intéressent qu’aux
dividendes dans un but purement lucratif et cherche à se procurer des actions
pour en tirer une plus-value à court terme sans se soucier du mode de gestion. Ils
ne veulent jouir que de leurs droits pécuniaires. Le recours à la justice est
largement écarté même en cas de perte de ces droits.
ü Entre les deux, se
situe une minorité « de blocage ». Les mesures de protection des minoritaires et les
prérogatives qui leur sont octroyées, notamment dans le domaine judiciaire,
peuvent conduire à des dérives qualifiées par la jurisprudence et la doctrine
de «harcèlement des majoritaires par les minoritaires».
ü Le vrai minoritaire
qui a pris une participation dans l’entreprise s’inscrivant dans une vision à
long terme, et qui n’est minoritaire que parce que sa surface financière ne lui
permet pas d’avoir plus de parts. Il vise à augmenter ses actions pour mieux se
positionner dans le futur.
C’est
particulièrement cette catégorie qui est concernée et intéressée par le concept
de protection des actionnaires minoritaires. Son recours à la justice est très
justifié.
Par ailleurs, le juge
est censé être très vigilant là-dessus, La jurisprudence marocaine n’est pas
suffisamment développée en matière d’abus de majorité pour l’être en matière
d’abus de minorité. Elle est nuancée, mais tend à considérer que l’abus se
caractérise essentiellement par une méconnaissance de l’intérêt social
entrainant une rupture de l’égalité entre les actionnaires. Cela laisse
évidemment place à une assez grande marge d’incertitude. Mais il est impossible
de l’éviter dans une théorie qui, comme celle de l’abus de droit en droit
civil, cherche à pallier les conséquences injustes d’une application littérale
du droit positif.
Ce
qu'’il faut retenir c’est que la protection des minorités n’est pas une fin en
soi, mais plutôt un meilleur fonctionnement de la société.
d- Les alternatives au recours judiciaire
Le
juge, en disposant de la faculté de prendre des décisions affectant la gestion
des SA au nom de la défense des droits des actionnaires minoritaires, risque de
mettre en péril l’ordre public économique, dont le ministère public est le
principal gardien. D’où l’intérêt de renforcer les mesures préventives et opter
pour des alternatives au recours judiciaire.
1. Les mesures préventives
Pour
garantir les droits des actionnaires minoritaires, en plus du droit à
l’information et des droits aux assemblés, il serait judicieux de renforcer le
poids de la minorité à travers trois mécanismes :
ü L’action collective
Il
’agit d’une action en justice ou une
procédure qui permet à un groupement d’actionnaires minoritaires de faire un
recours collectif en justice. Cette procédure est née aux États-Unis
en 1950, pour être ensuite adoptée au Canada
et dans d’autres pays européens comme le Portugal
ou l'Italie.
Par
exemple, les pertes subies par des milliers d'actionnaires
d'une société cotée en bourse peuvent être trop faibles pour justifier des
requêtes individuelles séparées, tandis qu'un recours collectif peut être
effectué de manière efficace au nom de tous les actionnaires.
ü L’association
de défense des actionnaires minoritaires
Pour
renforcer la protection des actionnaires minoritaire, l’association Marocaine pour la Défense des
Actionnaires Minoritaires (AMDAM) doit faire preuve de plus de réactivité pour
prouver que les petits porteurs ont un rôle qu'’il faut prendre en considération
dans la gestion des SA.
ü La convention
entre actionnaires
C’est un complément
aux lois, aux statuts et aux règlements généraux d’une société qui permet de
garantir davantage les droits des actionnaires minoritaires en y insérant des
clauses spéciales adaptées.
Cette mesure est très développée au Canada[23], elle s’intéresse
principalement aux individus, non à la structure et permet, entre autre,
de :
§ favoriser la détention proportionnelle d’actions ;
§ protéger les actionnaires contre l’intrusion de tiers à
l’actionnariat ;
§ prévenir les désaccords pouvant survenir entre les actionnaires et
établir certains mécanismes visant à régler rapidement les litiges ;
§ édicter certaines des règles relatives au soutien financier et à la
distribution des profits de la société.
2. les mesures extrajudiciaires
N’est-il
pas judicieux que le juge agit comme conciliateur entre les antagonistes que de
s’immiscer dans la gestion, en substituant ses propres décisions à la politique
menée par les dirigeants ayant la confiance de la majorité ?
Sur
le plan judicaire, la gestion des conflits d’actionnaires ne trouve pas de
solution «standardisée».Les négociations et le retour à une discussion sont des
instruments efficaces quant au règlement amiable des litiges avant tout recours
à la justice.
C’est
ainsi qu'’il faut mettre en place des systèmes de règlement professionnel des
litiges entre actionnaires, à même de prendre en considération les clauses du
contrat objet du litige, les usages et coutumes commerciaux.
Ainsi,
il existe des modes alternatifs de règlement des conflits[24]
qui doivent être initiés et mis en place par des comités instaurés à cet effet,
dont la composition et le fonctionnement varient fonction de la nature de
l’affaire objet du litige et les parties concernées :
§ négociations
directes ;
§ conciliation ;
§ médiation ;
§ expertise ;
§ audit
interne ;
§ audit
externe.
En
outre, l’arbitrage, conformément aux dispositions de l’article 5 de la
loi instituant les juridictions de commerce[25]
qui dispose que les litiges entre associés d’une société commerciale peuvent
être soumis à la procédure d’arbitrage.
C’est
dans ce sens que la loi n° 08-05
a prévu les cas où l’arbitrage est autorisé et peuvent
ainsi faire l'objet d'un arbitrage, entre autres, les litiges relevant de la
compétence des tribunaux de commerce[26].
Par
voie de conséquence, les justiciables potentiels évitent l’encombrement des
tribunaux par les affaires qui sont, en majorité, en instance de jugement. Et
les solutions négociées seront plus riches et plus efficaces. Ainsi,
les litiges seront résolus de
façon :
§ non
conflictuelle ;
§ rapide ;
§ secrète ;
§ impartiale ;
§ professionnelle.
Toutefois,
en cas de non aboutissement à un règlement d’un litige à l’amiable, la voie de
recours juridictionnelle demeure toujours ouverte, pourvu d’analyser
soigneusement avec un conseiller juridique les recours les plus appropriés dans
les circonstances, à la lumière des faits et des droits qui peuvent y donner
ouverture.
Conclusion
La tyrannie de la majorité
est une conséquence indésirable de la démocratie, certes, l’un des meilleurs et
des plus équitables des systèmes c’est celui qui ne connait pas d’abus.
En
conclusion, il semble que les droits des minoritaires n’ont pas atteint au
Maroc un état stable et définitif, dans la mesure où celui-ci s’inspire d’un
modèle qui n’est pas une référence de choix en droit des sociétés, en
l’occurrence, le droit français. Si l’on continue de s’interroger sur les
manières de canaliser certains excès des sociétés à l’encontre des actionnaires
minoritaires des SA, le droit marocain s’est surtout occupé de limiter les
pouvoirs des dirigeants. Il est concevable que devant le constat de cette
insuffisance, que l’on investisse un peu plus en droit et en pratique à l’effet
de contrôler et neutraliser l’abus de majorité.
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«A la recherche de l’intérêt en économie. De l’utilitarisme à la science
économique néoclassique», in Approche interdisciplinaire, Publications
F.U.S.L., Bruxelles, Vol. I, 1990.
ü Winkworth c. Edward Baron
Development Co. Ltd. [1986].
[1]Marie
Danielle POISSON, OPcit, P : 192.
[3]Tout
d’abord, il peut demander au tribunal d’interdire un acte non conforme
à l’objet social. Il peut également demander l’annulation d’un acte
offrant un avantage à la majorité des associés et à son détriment, à condition
que cet acte ne bénéficie pas à la société. Il peut enfin engager au nom et
pour le compte de la société la responsabilité d’un administrateur ayant agi
frauduleusement ou qui est tout simplement négligent
[4]Les abus de majorité, de minorité et
d'égalité : Etude comparative des droits français et nord-américain des
sociétés Broché – 13 janvier 2010 -Anne-Laure Champetier de Ribes-Justeau , Jean-Jacques Daigre. Page 3
[5]Marie-Danielle
poisson «laprotection des actionnaires minoritaires
dans les sociétés de capitaux en droit français en droitanglais»
août 1984, P : 5.
[6]Marie-Daniclle-POISSON, OP. Cit,
P.152.
[7]Voir
EL Houssine AMANAR, op cit, P : 75.
[8]L’arrêt
Schuman- Picard du 18 avril 1961.
[10] Encyclopédie Dalloz : administrateur
provisoire n° 17 et 18.
[12] Stéphane
Rousseau, Ivan Tchotourian, L’« intérêt social » en droit des sociétés :
Regards transatlantiques.
[13] Le rapport fut
soumis en 1971, « Propositions pour un nouveau droit des corporations
commerciales canadiennes », 2 Vol., Ottawa, Information Canada, 1971.
[14] S. Rousseau et
R. Crête, « Droit des sociétés par actions : Principes fondamentaux », 2ème
éd., Thémis,
2008, spéc. p.399 et s, n°871 et s.
[15]Winkworth c. Edward Baron
Development Co. Ltd. et al, [1986] 1 W.L.R. 1512, 1515 (H.L.) ; cité
dans : Stéphane Rousseau, Ivan Tchotourian, L’« intérêt social » en droit
des sociétés : Regards transatlantiques.
[16] M. C.
Jensen and W. H. Meckling,
p.311, n°58. Cité dans : Stéphane Rousseau, Ivan Tchotourian, L’« intérêt
social » en droit des sociétés : Regards transatlantiques.
[17]II
est des situations où le recours est ouvert au président du
conseil d'administration ou de surveillance afin notamment de nommer un
commissaire aux apports pour l'évaluation du bien anciennement appartenant à un
actionnaire
conformément aux conditions prévues par
l'article 112 de cette loi, parfois également ce recours peut être ouvert aussi
aux commissaires aux comptes comme dans le cas prévu à l'article 116/6.
[18]Arrêt
de la Cour d’Appel de Commerce de Casablanca, n° 04/2000 du 04/01/2000 Dossier
n°2535/99/4.
[19] Arrêt
CS. Civ, Rabat, 30/04/1997, n° 2598,
dossier civil n° 1406/96, vu dans Arrêts de la Chambre Commerciale - 50 ans, Cour
Suprême - Centre de publication et de Documentation Judiciaire, p.227, (2007).
[21]Cass.
Com. 4 juill. 1995. Rev, Soc, p. 504, note P. LE. CANNU.
[22] Michel
Germain, Les droits des minoritaires (droit français des sociétés), revue
internationale de droit comparé 2002,
volume 54, p.409.
-
[23]L’actionnaire minoritaire d’une PME Ses
droits et recours et la protection de ses intérêts canada Pierre Lamontagne
2006-2007.
-
[25]Dahir
N° 1-97-65 du 4 Chaoual 1417 (12 Février 1997) Portant promulgation de la Loi
N° 53-95 instituant des juridictions de commerce.
-
[26]Dahir n° 1-07-169 du 19 kaada 1428 (30 novembre 2007) portant
promulgation de la loi n° 08-05 abrogeant et remplaçant le chapitre VIII du
titre V du code de procédure civile.